Les cosmogonies portatives de Jean Charles Pigeau une oeuvre antimondialiste

Le marché de l’art contemporain favorise une production mondiale qui s’uniformise comme en témoigne les oeuvres de certains artistes chinois qui ont assimilé très vite les attentes des prescripteurs critiques et institutionnels. Un artiste comme Jean-Charles Pigeau représente l’exact contraire de ces faiseurs dans la mesure où il inverse le flux des influences. Fasciné par différentes cultures de civilisations anciennes qui privilégient les liens spirituels entre l’homme et la nature ses oeuvres entrent avec elles en dialogue intime. Son travail de sculpteur est le moyen pour renouer des liens physiques entre la terre et le ciel. Dans cette visée ambitieuse les éléments tels la pluie ou les vents sont des partenaires qu’il sollicite par différentes pratiques. Le caractère primitif de la camera obscura lui permet ainsi de produire des photographies au sténopé, format 4x5 inches,  qu’il expose généralement sous leur aspect original de négatifs. La nature de ces images qui fonctionnent comme des empreintes, leur temps long de réalisation qui lui permet d’intituler certaines images "captures de vent", tout en elles accompagne en creux le processus d’élaboration des sculptures

La sculpture espace de méditation

En quête de ces civilisations notamment pré-hispaniques, de leur esprit et de leurs productions quand il ne peut voyager il faut imaginer Jean-Charles Pigeau déjouer pendant des mois l’attention des gardiens du Musée Guimet pour photographier dans le jardin au moyen d’une de ses boites percée d’un sténopé en guise d’objectif la main d’un bouddha dont le geste le fascine. Il faut l’entendre aussi raconter comment de retour au Mexique on lui présente un fruit dont la forme l’intrigue, il goûte ces cédrats avant que son hôte lui révèle que dans ce pays ces fruits s’appellent des mains de Bouddha. L’envie lui vient alors de mouler un spécimen afin d’en réaliser une copie en bronze. Dans ce passage d’art le négatif photographique trouve sa voie non seulement vers son positif, mais aussi dans la transition de l’aplat du tirage à la troisième dimension d’une sculpture.

Les transitions iconiques

Si l’on pourrait croire l’artiste seulement fasciné par le fluide, le liquide, ce qui l’attire de fait est la possibilité de transcription que ces états de matière lui autorisent en tant que sculpteur utilisant aussi bien des méthodes traditionnelles que la photosténopé. En effet cette procédure archaïsante se trouve aussi appliquée dans son œuvre à contrecarrer la présence massive de la pierre pour la fluidifier. Les sels d’argent sur papier baryté amorcent le plus sensuel dialogue avec les fusains sur Ingres dans ces transitions iconiques où dessin et photographie sont complices d’une appréhension dynamique de la nature. D’autres fusions semblables s’opèrent entre le feuillu et le minéral. Le jeu de confusion des échelles y est aussi important que ces translations formelles, qui provoquent nos impressions tactiles. Par ces passages d’images l’artiste réinvente une fractalité sensuelle des éléments de nature.

La rencontre de deux projets

Laurent Chabres en dehors de sa production de fruits et légumes consacre une grande partie de son temps et de son argent à l’amélioration des conditions de vie de ses concitoyens malades. Ayant rencontré Jean-Charles Pigeau il lui a passé commande d’un lieu de recueillement pour son Hacienda de San José. Cette cellule de méditation, l’Oratoirea été réalisée à Baca au Yucatan en 2009. Le sculpteur en a conçu la structure extérieure en prenant un relevé volumétrique à 360° d’une statue de Bouddha. La partie interne de l’édifice est, quant à elle, constituée d’une même empreinte en creux de la statue divine. Décorée à la feuille d’or elle est surmontée d’un puits de lumière, tandis qu’à sa base un miroir circulaire d’acier transmet toutes les variations de la lumière céleste.

Dans l’ensemble de l’oeuvre les formes circulaires sont toujours de féminins réceptacles, elles sont le plus souvent en contact avec le sol, avec la terre. On peut y opposer le javelot comme principe masculin, sa forme élancée le relie au ciel. Prochaine étape la réalisation du projet "Pluie céleste" conçu après la visite du temple Sanjusangendo prévoit d’installer mille javelots de 2,70 m se déployant sur 3 m de largeur et sur 120 mètres de long respectant les dimensions de l’édifice.

Une oeuvre à taille humaine

Si beaucoup des sculptures de l’artiste sont d’abord prévues in situ dans la rencontre d’une figure et d’un site, si elles aiment à se multiplier temporairement commeles Conquesinstallées au centre Jean Marie Tjibaou de Nouméa en 2002 elles gardent toujours le respect de l’échelle humaine. Bien plus chaque grand projet installé de façon pérenne est doublé, en amont ou en aval de sa production, d’une version transportable. Cela suppose une adaptation de sa taille et souvent des matériaux la composant. C’est le cas de la coupelle "Cratère", réalisée en biscuit de porcelaine tendre, à l’intérieur doré à l’or pur 24 carats produite par la Cité de la céramique à Sèvres. Elle reprend la coupe du célèbre volcan du Popocatépeltl.

Ainsi dans ce jeu d’itinérance programmatique l’éphémère se conjugue à l’in situ selon une logique que résume le titre d’une de ses pièces "Cosmogonie portative"

La re-création du site

Dans cette logique « Akade » la pièce principale présentée à Bruxelles  est composée d’une structure en bois, démontable, qui accueille ici la forme interne du bouddha, elle est prolongée par un double banc pour que l’ensemble puisse devenir cellule individuelle de méditation. Le ciel bruxellois qui se reflète dans la coupelle d’acier miroir est strié par les composantes métalliques de la Verrière. Sur l’un des murs cinq citrons moulés à la feuille d’or fonctionnent comme une émanation du dieu. Installés à leur côté trois oeuvres sur papier fonctionnent comme une ébauche de paysage. En s’approchant on s’aperçoit qu’au centre un sténopé représente une cascade, celle de Nachi no taki au Japon tandis que deux fusains latéraux, sur Ingres de même dimension, apportent une stylisation de leur mouvement. Celui de gauche représente la chevelure du top modèle Miss UU de Beijing quand l’autre rejoue graphiquement le mouvement de l’eau. Ce paysage mental fait entrer en dialogue les cultures pré-hispaniques et celles de l’extrême-orient dans la ré-appropriation d’une autre forme de mondialisation, où l’oeuvre nous encourage à une forme inédite de méditation.

*site architectural préhispanique yucatèque.

La niche, partie interne de l’édifice est quant à elle constituée à partir du profil de l’arc architectural de Labna*. Cette empreinte en creux se trouve à l’intérieur de la statue divine. Décorée à la feuille d’or elle est surmontée d’un puits de lumière, tandis qu’à sa base un miroir circulaire d’acier transmet toutes les variations de la lumière céleste.

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