Il est des artistes au destin tracé par un mystérieux fil d’Ariane. Jean-Charles Pigeau en fait partie. Il semble doté d’une intuition toute singulière qui le mène inéluctablement sur les routes qu’il doit traverser.

Lorsqu’il rencontre Jacques Kerchache en 1990, la magie du regard, entre eux, opère immédiatement.

Ouvert sur toutes les cultures, Kerchache, autodidacte passionné, connaît parfaitement les méandres de l’art. Il repère l’œuvre pour son absolue perfection mais aussi l’œuvre unique, atypique, par-delà les modes et les repères admis.

Au cours de palabres sans fin, l’esthète-collectionneur et le sculpteur trouvent des points de contact, des affinités proches de la coïncidence, le même amour pour le Mexique par exemple ou pour les formes simples.

Jacques Kerchache est séduit par l’aspect élémentaire, voire « élémental » des installations de Jean-Charles Pigeau et l’encouragera toujours dans ses projets les plus fous, jusqu’à sa disparition prématurée en 2001.

Il lui permet très vite de réaliser en 1991, à la Salpêtrière, une exposition dont il fait un vibrant éloge. La chapelle paraît métamorphosée en un insolite sanctuaire avec ces sculptures spectrales, semblables à des empreintes sacrées, imposant  un silence respectueux.

En 1994, a lieu la remarquable et émouvante exposition des Taïnos des Grandes Antilles au Petit-Palais, conçue et réalisée par Jacques Kerchache. Sans relâche, Jean-Charles assiste le maître d’œuvre, peaufinant chaque détail concernant l’emplacement des vitrines, veillant à l’orientation des objets et à leur dialogue permanent, révélé par un jeu de transparence. La lumière centrale, telle une colonne vertébrale, se diffuse, çà et là, sinueuse et caressante, comme pour mieux distiller l’inquiétante beauté de ces sculptures précolombiennes.

La justesse et la précision impeccable des gestes de Jean-Charles laissent deviner que ce contemplatif en quête d’épure est également un homme de terrain, mettant « la main à la pâte » et tout à fait à l’aise sur les chantiers les plus difficiles.

Il en fait l’expérience lors de ses nombreux voyages au Mexique, en Nouvelle-Calédonie, au Japon et en Chine notamment.

Insatiable découvreur, Jean-Charles Pigeau revisite à sa manière les sites les plus extraordinaires en les peuplant de son univers personnel, à la fois minimaliste et hors mesure. Il cherche des vibrations entre l’éphémère et l’intemporel, le paradoxe des contrastes à travers une poésie qui tient du rituel et qui s’ancre dans un subtil pouvoir de résonance avec la nature. Il a cette intelligence d’élire des paysages, sachant, comme l’écrit si bien René Depestre, qu’il existe « une métaphysique des êtres et des lieux qui obéit à la logique étrange du rêve ».

Il suffit d’observer ses sténopés, obtenus à partir d’une camera obscurapour entrevoir un inframonde qui se dessine à la manière d’un théâtre d’ombres. Ces photographies, telles des météorites pérennisées par l’instantané d’une image, capturent la rumeur du vent, des arbres en ligne de fuite, des architectures aux confins du réel, des chimères en tout cas habitées par une transcendance d’où surgit soudainement la brève interaction de l’espace et du temps.

A l’écoute du battement du monde, Jean-Charles Pigeau continue à entendre la voix des ancêtres dont il perçoit, avec une sagesse de « vieux papa », les lointaines pulsations.

Ses sculptures combinent des chassés-croisés entre matières nobles et brutes qu’il se plaît à pétrir de ses mains après avoir construit de savants dossiers mûrement élaborés ; elles relèvent parfois de l’anamorphose, explorent de curieux phénomènes de gravitation mais conservent cette cohérence admirable que seuls les artistes sans concessions et sans compromis parviennent à inscrire au cœur de leurs œuvres.

Dans son enfance, archéologue avant l’heure, il exhumait de sa terre natale des tessons de poterie ou des vestiges de mosaïques dont il faisait don* au musée de Pithiviers. En se saisissant de ces fragments anciens, aux vifs coloris ou aux motifs d’une étonnante modernité, il avait sans doute compris que la continuité entre le passé et le présent deviendrait aussi sa façon à lui de décrire, de penser le monde et d’en faire le réceptacle de sa vie.

        Marine Degli. Paris 2012

* par le biais de Mr Dumond, instituteur d’Échilleuses.

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