Depuis le XIXème siècle le Mexique a été une terre d’exploration pour des archéologues et des artistes qui ont parcouru les cités emblématiques des civilisations Maya, Aztèque, Olmèque. L’archéologie mexicaine, avec la participation d’archéologues européens et américains, n’a cessé de fournir d’importantes informations historiques permettant la mise à jour de nouveaux sites, monuments et documents et leur interprétation. Dans l’art moderne et contemporain les références aux cultures précolombiennes sont présentes, alimentées aussi par les visions poétiques d’auteurs comme Antonin Artaud, André Breton, Malcom Lowry, Jean-Marie Le Clézio ou les récits anthropologiques de Carlos Castañeda.

En travaillant dans  les déserts de l’Amérique du Nord, des artistes comme Walter de María ou Robert Smithson ont établi une relation avec les cultures autochtones et leur cosmovision. Jean-Charles Pigeau connaissait les expériences des artistes du Land Art, référence obligée pour sa génération, mais alors que ces artistes modifient la topographie ou réalisent des œuvres de format monumental sur des vastes étendues, le travail de Pigeau résulte davantage d’un parcours dans l’espace mésoaméricain qui s’inscrit dans la durée. De manière régulière il a passé beaucoup de temps au Mexique et l’archéologie a nourri sa réflexion et sa production, cependant son regard n’est pas limité à la l’observation des formes et il a plutôt cherché à comprendre la relation architecture-environnement afin de retrouver un sens de la forme par rapport au paysage, la toponymie et les cultures ancestrales. A partir de cette lecture multiple, fondée sur une recherche très approfondie, il a entrepris sur plusieurs années une importante production associant différents médiums : la photographie, la sténopé, le dessin, la céramique, la sculpture en fonte.

Artiste cultivé, Il connaît toute cette littérature qui s’abreuve dans une mystique des indiens, mais ne devient pas un artiste « new age ». Le travail de Pigeau est structuré sur une démarche ordonnée, rigoureuse, qui fait parfois penser à celle de l’archéologue ou de l’ingénieur. Pour parcourir le Mexique, sur des périodes très précises et pouvoir pénétrer dans les sites archéologiques comme il l’a fait depuis plus de vingt ans, il faut une grande discipline et un esprit  aventurier à la fois, car les choses ne se déroulent jamais selon un schéma précis et défini d’avance et il faut savoir tirer parti des impondérables pouvant déboucher aussi sur des trouvailles ou des rencontres extraordinaires. Pigeau a parcouru le Mexique en utilisant surtout les transports publics, bus ou taxis collectifs, qui sillonnent les coins les plus reculés du pays et  a recueilli des impressions et des informations au gré de ces déplacements.

J’ai rencontré Jean-Charles Pigeau en 1995, au Limousin. Il m’a alors parlé des ses expériences au Mexique Central, dont certaines avaient ont fait l’objet d’expositions  et chose surprenante, d’installations dans des sites archéologiques et naturels du pays. Il est important de mentionner que c’est un de rares artistes ayant pu réaliser des interventions dans les sites archéologiques, véritables « chasses gardées », mais Pigeau a su établir un dialogue avec les archéologues, non seulement sur le plan scientifique, mais en apportant aussi des éléments convaincants sur ses propositions plastiques et sur sa propre perception et interprétation de l’espace et des objets du patrimoine en tant qu’artiste.

En 2001 je suis revenu au Mexique et je me suis m’installé au Yucatán. Face à l’importance des vestiges de la civilisation maya, je voyais la pertinence de susciter  la  rencontre entre la création contemporaine et l’archéologie et d’inviter un artiste comme Pigeau. La culture maya et le paysage du Yucatan lui offraient un vaste terrain de recherche et de création.

Etant directeur du département des arts visuels à l’Institut de Culture du Yucatan,  je lui ai proposé, en 2003, de participer aux projets pédagogiques qui devaient conduire à la création de l’Ecole Supérieure d’Art du Yucatan. En parallèle il a entrepris des recherches sur le thème de la « ceiba », arbre sacré chez las mayas, les « cenotes » puits naturels et rituels, et l’architecture des cités précolombiennes, avec un regard particulier sur « la porte de Labná, » un des plus bel exemples « d’arc maya ».  Ses dessins et ses sténopé-photographies, réalisées lors de différents séjours, aboutissaient à la création d’images extraordinaires et originales qui révélaient les particularités d’un paysage qui semble rude et monotone au premier abord. Sur le plan pédagogique il a montré aux artistes locaux et aux jeunes étudiants d’art la richesse de leur propre environnement et des pistes d’expérimentation qui pourraient leur permettre d’aller au delà d’une représentation désuète et démagogique du monde maya.

L’ensemble des travaux issus de ces séjours a fait l’objet de l’exposition travesias, dans laquelle se détachait une sculpture de petit format inspirée de l’étude de la porte de Labná.  Lors du montage de cette exposition nous avons pensé que cette forme était vouée à devenir une pièce monumentale et ainsi le contour de cette pièce a été reproduit sur un mur, à une échelle beaucoup plus grande. En effet, elle a été une sorte de matrice d’un ensemble très important que l’artiste aura développé dans les années qui ont suivi cette exposition (2005).

La porte ou arc de Labná, est présente dans des œuvres comme Vacuité, Aube, Colonne célesteainsi que dans deux œuvres majeures : l’oratoire de Baca et Ak-ade. Dans ce groupe de sculptures apparaît une idée qui fascinait Pigeau depuis ses premières incursions dans l’étude de l’architecture précolombienne, l’entrée de la lumière dans les temples au moment des équinoxes ou des solstices, phénomène parfaitement calculé  par les constructeurs des temples, qu’il va matérialiser en utilisant la feuille d’or comme recouvrement d’une surface concave. Ces formes concaves combinant la froideur du plâtre et la luminosité de la feuille d’or, rappellent aussi bien les formes essentielles et majestueuses des constructions précolombiennes imprégnées de lumière que les premières édifices franciscains blancs et sobres renfermant des retables extraordinaires.

Les périples de Pigeau à travers le Mexique et en particulier sur des lieux chargés de spiritualité semblent avoir trouvé un écho et une synthèse dans l’oratoire qu’il a conçu pour un centre de soins palliatifs à Baca, petite ville située à quelques kilomètres de Mérida. A l’extérieur il s’agit d’une modeste chapelle peinte en blanc, à l’intérieur la vue est saisie par la forme qui se détache dans une abside modelée par l’artiste, qui renvoie à un autre versant de son univers personnel : les cultures orientales.

La réalisation de cette œuvre  pour un centre de soins (2009) a donné à l’artiste l’occasion de participer à la création d’un espace ayant une fonction précise, la méditation. Il ne s’agissait pas de réinterpréter des symboles ou les objets précolombiens, mais de mettre en exergue une idée de spiritualité. C’était bien une commande mais ce terme risquerait d’avoir une résonance froide et distante par rapport au propriétaire du lieu, Laurent Chabres -amateur d’art, collectionneur et mécène qui dans un geste généreux a décidé de créer et financer ce centre de soins, qu’il anime, dans une partie de sa propriété, où il accueille des artistes et des activités culturelles pour les habitants du village depuis déjà quelques années.

La rencontre entre l’artiste et L. Chabres a donné lieu aussi à l’immersion de Pigeau dans la campagne du Yucatan et dans le monde spirituel d’un collectionneur singulier, qui vit d’une manière dépouillée, à l’écoute des autres et de la communauté environnante.

Ak-ade(2011), la cellule de méditation, même si elle se rapporte aux expériences archéologiques de Pigeau  elle s’inscrit dans le contexte de l’expérience humaine que l’artiste a connu à Baca. La structure de l’œuvre reprend une architecture précolombienne et dans sa partie concave se dessine une silhouette anthropomorphe, mais nous ne sommes pas en face d’une divinité aztèque ou maya, sinon face à une représentation de Bouddha. Il existe une version antérieurede cette cellule, à Baca, réalisée en pierre et ciment et entourée d’un bassin, réunissant ainsi la terre, le végétal,  l’eau, le reflet du ciel.

 

Ak-adeinvite à la déambulation, au repos, à monter sur son sol blanc pour découvrir le miroir qui est au centre…mais surtout cette œuvre transmet une idée  d’apaisement, de rencontre avec la lumière et l’infini. Enfin, Aka-de est une œuvre où le sens du partage, de spiritualité et d’espoir se rejoignent et font écho pour atteindre un caractère universel.

Alfredo Cruz

Mérida, Yucatán

décembre 2012

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