1/ Das bilderatlas mnémosyne d’Aby Warburg :

Un premier repère pour approcher la démarche de Jean-Charles Pigeau consiste en cette date : 1977, « The lightning field » de Walter de Maria, soit 400 tiges d’acier  de 7 mètres de hauteur plantées verticalement à espace régulier sur un terrain désertique ; l’accent est mis sur les éclairs que ce dispositif va attirer, les plus photogéniques d’entre eux sont ensuite exposés dans les manifestations du Land art.

Le paysage de la Beauce est déjà du Land Art avant la lettre, le processus de la création et le processus de la vérité procèdent de la même passion existentielle chez Jean-Charles Pigeau, le sel du désert mexicain et toute sa symbolique fut un élément déterminent pour ses grandes installations méditatives, et pour la suite de sa quête, soit retrouver ce paysage mental, le restituer en des œuvres qui possèdent toutes un haut degré d’authenticité où vérité et création se recoupent. En 1985 à la Biennale de Belfort il inaugure une longue série de pluies.

Le champs des éclairs est également « déjà là » sur la Beauce, il se superpose dans la mémoire il se localise facilement dans l’universel et dans une relation renouvelée entre identité et la différence. Le mode d’apparition de cette pièce et cette thématique dans l’espace « tinte » et fait signe à plusieurs reprises depuis le passé et vient jusqu’à nous par recouvrement et ressouvenir. Cette pluie universelle dans son oblique s’inscrit dans le monde sous le mode de l’apparaître et sous le mode transcendantal.

Cette « pluie céleste » se manifeste par là même dans le monde de l’apparaître, elle continue, elle poursuit la même logique profonde qui fait œuvre chez Jean-Charles Pigeau qui connut dans son temps le land art. Gravir, poursuivre, s’approcher du noyau dur de l’œuvre en train de se constituer dans la singularité d’un parcours qui passe pour lui par le Mexique précolombien, la Chine et le Japon par apparitions et empilements.

A propos du Japon Jean-Charles Pigeau a eu l’occasion de visiter le temple Sanjusagendo en juillet 2010 et ainsi contempler les 1001 sculptures bouddhiques en bois doré à la feuille. Très impressionné il conçoit une réponse à ce choc une nouvelle pluie féconde et lumineuse et réalise des maquettes soignées pour ce faire.

Travaillant sur la notion d’emboîtements chez Leibniz,  j’ai été amené à croiser l’oeuvre d’Aby Warburg en 2007 à la bibliothèque de l’ENS, et par la suite constater certaines similitudes.(Texte publié dans« Jardins » Editions ESADHAR N°14. Septembre 2011)

L’atlas d’Aby Warburg est un dispositif assez systématique de mise en image et de mise en connections d’images multiples et variées; Aby Warburg disposait des gravures de tous style et de toutes époques confondues sur des panneaux tendus de tissus noirs et il favorisait les connections les plus inédites.

Jean-Charles Pigeau dans son enseignement et dans son atelier procède de la même manière en associant par exemple la photo d’une étudiante chinoise ayant réalisé un masque glyphe en fil de fer et une sculpture mexicaine précolombienne.

Des images en attendent d’autres sans même le savoir, ce dispositif permet et favorise cette rencontre féconde. Re-construction d’un état de clarté, il organise ce qui vient en associations circulaires. Le détour peut être long ou court, toujours en intensité maximale.

Pour la sculpture « Transfert » de 1990(disque en acier inox, poli en son centre) JacquesKerchacheosa à l’époque la correspondance avec l’image du disque bi chinois en pierre de jade qui renvoie directement au ciel.

Jean-Charles Pigeau travaille les espaces saturés et retrouve ce qui les fait apparaître, il articule ainsi des formes en fonction d’espaces électifs, et ce,  grâce à une intuition précédée ou suivie d’une bonne connaissance de ses paramètres croisés et d’un exercice constant et vigilant du regard. Il tire les fils entre connexions peu visibles avec la conscience fine d’une mélodie intérieure qui construit une belle unité. Les conques se donnent au vent de surcroît, et dans l’acte de traversée qu’il opère il reste présent à la pointe de son époque, il participe ainsi d’un monde en constante ouverture.

Le socle d’une sculpture de Bouddha en forme de double lotus stylisé  a inspiré un rapprochement immédiat chez Jean-Charles Pigeau avec la forme répétée de la colonne sans fin de Brancusi, il s’oriente très vite dans une direction de la pensée et procède donc par des rapprochements inédits. Le drainage du sens par association apparemment discontinue de fragments et d’allusions diverses, ainsi se tisse le corpus de base, et ce pour enclencher une œuvre future dans sa saisie immédiate, dans son « urgence » et sa nécessité.

Reste alors à Jean-Charles Pigeau la tache de recueillir le contenu latent d’une œuvre à venir à partir de fils invisibles tendus mentalement, dans le non-dicible et dans ce qui ne serait être visible avant les premiers dessins et les maquettes.

Il a pu ainsi faire un constat inattendu qui devait par la suite resserrer cette relation : en effet, Xi’An est un site classépatrimoine mondial de l’humanitépar l’UNESCO, de même Sian-Ka’an au Mexique (notons au passage une certaine proximité dans ces deux noms propres, le deuxième sonnant davantage chinois que mexicain) et, de même encore pouvons nous ajouter, la ville du Havre qui complète la scène à trois personnages et qui prend de factoune consistance inespérée.

Cette traversée des cultures et des époques peut donc s’effectuer sous un patronage solide et regrouper des univers qui, en se croisant tiennent ensemble à la fois les spécificités des trois personnages et respecter la dite « pluralité des mondes ».

Notons pour appuyer ce dire que Bernard de Fontenelle a étudié à la fois la pluralité des mondes et l’origine des fables.

Gageons que la pluralité des mondes et des fables construisent un tressage heureux pour cette aventure et ses prolongements pédagogiques qui ne font que commencer.

2/ « Labna lumière dorée » :

A partir d’un site archéologique

et de la découpe d’une porte

Une chapelle, chambre sacrée

A son exacte place,

Sur le sol et sous le ciel.

Lumière d’or pur,

Un cordon dans l’air élancé,

L’intérieur d’or respire en gloire.

Là où l’orage n’éclate pas,

Où les derniers rayons du soleil

Viennent se poser au solstice d’été.

Au cœur de cette chambre d’écho,

Dans la confidence d’une mélodie,

Dans l’ouvert du dire et du nommer.

Un sceau, lisière, estafilade,

Cœur festif des rayons de lutte,

A la quintessence  de la lumière.

Maison, regard d’herbe serrée,

Ses brins, ses paumes, toute ferveur passée,

Autour des cailloux de la Huasteca*

Voix soufflée d’ailes vives,

Pétroglyphe et lingotière retrouvés

Dans le dos des divinités.

Ceiba, le nom de l’arbre sacré,

Consume ses divers bruits,

D’argile et d’écorce, duvet du temps.

Ecrire devant le soleil,

Quête obstinée du lieu exactement inspiré,

Là où personne ne passe.

Tout ce qui n’est pas ciel et lumière,

Ceiba, arbre sacré, arbre séisme,

Pour la chambre tremblée.

Quête de la chambre

Qui fait naître le monde

Depuis la tête du jaguar.

*Site montagneux près de Monterrey. Mexique

3/ Un oratoire au Yucatan

Vingt cinq années de fréquentation et de travail pour penser un sens dans ce lieu, pour aboutir à une œuvre pérenne, demeure blanche et pure, comme le point d’orgue en réponse à  l’engagement patient et constant de Jean-Charles Pigeau.

En septembre 2005, la rencontre avec Laurent Chabres vivant en l’hacienda San José à Baca, a tout déclenché. À partir de mai 2007, une collaboration constante au projet, un appui financier et technique et l’apport de  cinq maçons, d’un menuisier et d’un assistant sans qui cette aventure n’aurait pas pu voir le jour, il est important de le dire en liminaire. Le bâtiment est tout entier conçu pour permettre, par delà les vibrations de l’énergie, le surgissement de ce qui est unique.

Quelque chose en effet d’unique escalade le long de la lumière, entre humanisme et théandrisme ; le réceptacle est donc un dispositif qui favorise la rencontre (et la fusion) de ces deux types de nature qui existent en gésine, potentiellement mais ne se rejoignent qu’exceptionnellement. Ce qui circule donc dans l’air monte de plus en plus haut, le jour s’enfonce dans le clair et remonte depuis la couleur qui circule dans l’illimité du mouvement.

Les oculus du plafond  de l’oratoire sont des puits d’or et de lumière aux couleurs de l’arc-en-ciel ; conques d’or éclairées par le ciel du Yucatan, la lumière fuse alors comme la soie se déchire, feux blancs qui se recoupent et s’alimentent.

La couleur se donne à la lumière dans l’union du chaque fois maintenu et maintenant pour un dieu blanc debout, invisible. Dans l’oratoire la lumière entre totalement dévêtue, elle respire et se développe  dans toutes les couleurs de l’arc, venue du plus haut de sa verticalité, prête à l’aurore d’un regard digne de ce nom.

Ici la verticalité fait somptueusement son travail de lumière dans « l’expansion des choses infinies » en écho baudelairien de la « sensation multipliée ». D’un bain de lumière de cette sorte on n’en ressort pas indemne.

L’espace intérieur autorise quelque chose comme le « laisser être », il s’active au centre de l’ouvert dans la suspension du monde, il laisse être le monde, il ouvre un monde du possible.

Une boite sacrée pour dire l’énergie pure, fournaise en fusion au centre des mondes, lumière en panaches, tisons sacrés et coulées torrides qui s’allument et s’attisent en veillées plus qu’ardentes. Bain lustral, mouvements incessants des couleurs qui ont traversées les mémoires successives et les plus anciennes sources pour se déployer dans leurs transparences nouvelles.

Soit une question d’espace, Jean-Charles Pigeau crée ici  à Baca un espace nouveau, inédit, une façon personnelle d’associer des espaces pour aboutir à une profondeur dramatique, un oratoire c’est-à-dire un espace spirituel.

Précisons enfin que le prince et poète Nezahualcoyotl fit élever un temple vide – oui nous lisons bien un temple vide – en l’honneur de Tloque Nahuaque, « celui de l’immédiat voisinage », dieu mystérieux et le seul parmi les treize divinités anciennes du Mexique qui est demeuré sans représentation !

  • théandrisme : (de théos : dieu et andros : homme) : union de la nature de l’homme et de la nature de Dieu ; terme également employé pour signifier les différents modes de participation de (et à) cette union particulière. (Cf : Vladimir Soloviev : « Leçons sur le théandrisme »)

Jean-Louis Vincendeau

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