Un artiste français qui devait exposer au Mexique des dessins du volcan Popocatépetl embarque sur le vol Mérida-Mexico. C’était en février 2005. Dans l’avion, il décrit à sa voisine ses autres travaux : les sténopés, photos uniques obtenues par une camera obscura et par impression directe ; des images de Ceiba, ou fromagers, arbres qui se propagent, considérés comme des piliers célestes, vénérés par les Mayas, et de cenotes, sortes de grottes naturelles à ciel ouvert, parfois ornées, elles aussi sacrées. Dans l’avion, un autre voyageur, Laurent Chabres, négociant en fruits et légumes, collectionneur d’art et président de la Fondation Bienestar, entend la conversation. Quelques jours plus tard, un de ses amis, Alfredo Cruz, commissaire d’exposition, lui recommande l’artiste Jean-Charles Pigeau, qui parcourt le Mexique depuis plus de vingt-cinq ans. Laurent Chabres se souvient du récit intercepté en vol et le reçoit aussitôt dans son hacienda. Se noue à partir de là une belle amitié, suivie de commandes importantes de ce mécène mexicain. Notamment L’Oratoire, une extraordinaire sculpture/architecture monumentale en ciment blanc, réalisée à Baca, dans le Yucatan, inaugurée en août 2009. Dans un petit livre sur Jean-Charles Pigeau, Éloge de la traversée, le critique Philippe Piguet parle de la fascination de l’artiste pour le plâtre : « Le plâtre prend le temps : il le retient dans sa masse et ne le lâche plus. Il fait corps avec ce qu’il insère et les formes qu’il prend sont toujours celles d’un temps figé. »
Artiste idéaliste, nomade, infatigable marcheur, aventurier, voire risque-tout, Jean-Charles Pigeau, avant-dernier d’une fratrie de onze enfants élevés en terre de Beauce, avance sans peur sur tous les continents depuis les rencontres internationales de Montréal en 1977, jusqu’à Kyoto (le temple aux mille et un bouddhas) et l’île de Nahoshima, au large d’Okayama, et Xi’an, en Chine, en 2010, en passant par Montrouge, la Fondation d’Art Contemporain Daniel et Florence Guerlain aux Mesnuls, le centre d’art du Crestet, Göteborg, en Suède, le Centre culturel Tjibaou en Nouvelle-Calédonie, New York, ou Bayside, au Nouveau-Brunswick (Canada). Au Mexique, il a exposé plus de vingt fois. Comme le fameux collectionneur et expert en arts premiers Jacques Kerchache, il se passionne pour l’art olmèque, matrice de l’art préhispanique (1300-800 avant J.-C.). « La qualité des objets chez les Olmèques, explique-t-il, le choix de leurs matériaux et leur économie de moyens pour transmettre une pensée, un concept, en font de très grands sculpteurs. Chez eux l’œuvre ne représente pas, elle signifie. » En 2008, il a collaboré avec la Manufacture nationale de Sèvres, et réalisé Cratère, petite sculpture-paysage en biscuit et or, née de ses fréquentes visites au Popocatépetl, dont elle reprend fidèlement la coupe.
Et il rêve d’installer, dans un temple de Kyoto, Pluie céleste, un champ de mille javelots de deux mètres soixante-dix de haut en aluminium poli brillant, fichés en pleine terre ! Comme toujours, chez Jean-Charles Pigeau, le travail artistique procède d’une longue et patiente quête herméneutique. Précédée de voyages de repérage et d’études approfondies. Les moines du temple de Kyoto, eux, sont déjà venus voir de quoi il en retourne dans l’atelier de la rue de Bagnolet, à Paris. Aucune inquiétude, le projet finira par se faire. Ainsi, quelques exemples de sa détermination. En 1992, pour pouvoir trouver un espace du Mexique vierge de toute trace d’actualité, Pigeau avait parcouru des kilomètres et avait fini par jeter son dévolu sur Sayula, dans l’État de Jalisco, où un lac s’évaporait chaque été. Revenu là un an plus tard, avec Suite pour ciel seul ; sept sculptures - miroirs paraboliques, il avait vu, stupéfait, surgir du sol des cercles de même diamètre au fond du lac à la terre toute craquelée : les Indiens y faisaient jadis sécher le sel (entre 600 et 900 de notre ère). Six ans plus tard, premier artiste contemporain à investir un site préhispanique, il installe Les Conquesdevant la pyramide dédiée au dieu du Vent Ehecatl. Le projet (organisé par le Getty Conservation Institute) s’est prolongé ensuite à Nouméa, où Pigeau s’est établi de longues semaines pour saisir le vent dans les frondaisons du chemin kanak et le traduire en sténopéphotographies. Il y a même appris à « siffler pour faire venir le vent ». Autre rituel, autre aventure, en 1999, grâce à la Fondation d’Art Contemporain Daniel et Florence Guerlain, Pigeau installe Offrandes, neuf éléments de terre crue, sur les flancs du Popocatépetl, puis revient un an plus tard en photographier les vestiges.
À La Verrière, invité par la Fondation d’entreprise Hermès, il construit une cellule de méditation blanche, entièrement doublée à la feuille d’or. Devant elle, sur le sol, un disque-miroir capte le toit vitré, donc le ciel, le petit temple lui-même, et le regard du visiteur. Celui-ci se montre ému par cette sculpture qui parle directement à l’âme. Comme les autres travaux de Jean-Charles Pigeau, elle agrège les notions de sacré, d’universalité, le cycle du temps, l’imprévu. L’humour aussi. Un jour Pigeau moule quelques citrons verts en plâtre pour son mécène mexicain qu´il appelle "le roi du citron". À La Verrière, il les présente, régénérés, tout en or. « Imaginer, disait Gaston Bachelard, c’est hausser le réel d’un ton. »
Alice Morgaine
Directrice artistique de La Verrière
Texte pour le catalogue de l’exposition personnelle de Jean-Charles Pigeau à la Verrière. Bruxelles en septembre/octobre 2011. Fondation d’Entreprise Hermès.
AK-A-DE
Due to exhibit his drawings of the Mexican volcano Popocatepetl, a French artist takes a flight from Merida to Mexico City. It is February 2005. During the flight, he describes his other works to his neighbour: pinholes, unique photographs taken using a camera obscura and by direct impression; images of Ceibas, silk-cotton trees that self-propagate and were venerated by the Mayans as heavenly pillars, and cenotes, a sort of natural cave open to the sky, occasionally decorated and also sacred. The conversation is overheard by another passenger, Laurent Chabres, a fruit and vegetable magnate, art collector and president of the Bienestar Foundation. A few days later, his friend and exhibition curator Alfredo Cruz Ramirez recommends to him the artist Jean-Charles Pigeau, who has been travelling across Mexico for the last twenty-five years. Laurent Chabres recalls the overheard in-flight conversation and loses no time in inviting him to his hacienda. Thus was forged a fruitful friendship, followed by significant commissions from this Mexican art patron. In particular, the Oratoire, an extraordinary piece of sculpture/monumental architecture in plaster (white cement, to be exact), executed in Baca in Yucatan Province, and inaugurated in August 2009. In his short book on Jean-Charles Pigeau, Éloge de la traversée, the critic Philippe Piguet talks of the artist’s fascination for plaster: “Plaster takes time: it retains it within its mass and holds on to it. It is as one with what time imbues in the work, and the forms it takes are always those of a moment fixed in time.”
An idealistic, nomadic artist, tireless walker, adventurer - a daredevel even - and the last-but-one of eleven siblings raised in Beauce, Jean-Charles Pigeau has been fearlessly exploring every continent, from the Rencontres Internationales de Montréal in 1977 to Kyoto (Temple of A Thousand and One Buddhas) and the Island of Nahoshima off the coast of Okayama, Xi’an in China in 2010, and taking in on the way Montrouge, the Fondation d’Art Contemporain Daniel et Florence Guerlain at Les Mesnuls, the Crestet Art Centre, Göteborg in Sweden, the Tjibaou Cultural Centre in New Caledonia, New York and Bayside in New-Brunswick (Canada). He has exhibited in Mexico on over twenty occasions. Like the famous collector and expert on primal arts Jacques Kerchache, he is passionate about Olmec art, the forerunner of pre-Hispanic art (1300-800 BC). “The quality of the artefacts produced by the Olmec,” he explains, “their choice of materials and the economy in the means they employ to convey a thought, a concept, make them extraordinary sculptors. For them, the work is not a representation but a meaning.” In 2008, he collaborated with the Manufacture Nationale de Sèvres, and created Cratère, a small landscape sculpture in biscuit and gold inspired by his frequent visits to Popocatepetl whose cross-section the work accurately reproduces.
And he dreams of installing, in a temple in Kyoto, Pluie céleste (Heavenly Rain), a field of one thousand 2.7m-tall javelins in shiny polished aluminium, inserted straight into the earth! As always, for Jean-Charles Pigeau, artistic work is a process of long and patient hermeneutic quest. Preceded by fact-finding journeys and in-depth studies. The monks of the temple of Kyoto have already visited the Rue de Bagnolet studio in Paris to get a sense of what is in store. No need for concern, the project will be a success. And so to a few examples of his determination. In 1992, in order to find a piece of Mexico untouched by any trace of modernity, Pigeau travelled miles and settled on Sayula, in the State of Jalisco, where a lake evaporated every year. Returning one year later with ten parabolic mirror sculptures, he was astonished to discover circles, all of equal diameter, emerging from the ground on the lake bottom, now a stretch of cracked earth: the Indians dried salt here between 600 and 900 AD. Six years later, as the first contemporary artist to take over a pre-Hispanic site, he installed Les Conques in front of the pyramid dedicated to the Wind God. The project (organised by the Getty Conservation Institute) was later extended to Noumea, where Pigeau installed himself for weeks on end in order to capture the wind in the foliage of the Canak path and translate it into pinhole photographs. Whilst there, he even learned how to “whistle to bring the wind.” Another ritual, another adventure: in 1999, through the Fondation d’Art Contemporain Daniel et Florence Guerlain, Pigeau installed Offrandes, nine elements of raw earth, on the slopes of Popocatapetl, and then returned one year later to photograph what remained.
At the invitation of the Fondation d’entreprise Hermès, he has built at La Verrière a white meditation cell, entirely lined with gold leaf. On the ground in front of it, a mirrored disc captures the glass roof – and hence the sky – the little temple itself and the gaze of the spectator. The latter can be seen to be moved by this sculpture that speaks directly to the soul. Like Jean-Charles Pigeau’s other works, it incorporates notions of the sacred, universality, the cycle of time, the unexpected. Humour too. On one occasion, the Mexican art patron declared himself to be “the king of the lemon”. Thereupon, Pigeau moulded a few plaster lemons for him. He presents these at La Verrière, regenerated, all in gold. “To imagine,” said Gaston Bachelard, “is to raise reality’s pitch one tone.”
Alice Morgaine
Art Director, La Verrière
AK-A-DE 让-夏尔德 丕儒JEAN-CHARLES PIGEAU
雕塑2011 爱马仕基金会
AK-A-DE. JEAN-CHARLES PIGEAU
Sculpture produite en 2011, avec le concours de la Fondation d’Entreprise Hermès
冥思室
2005年2月,一位法国艺术家搭乘飞往墨西哥梅里达的航班,准备在那里展出他在波波卡特佩特火山完成的写生作品。飞机上,他向邻座的女士介绍他的针孔摄影作品。这些作品都是通过暗箱摄影,然后直接冲洗获得。有些拍摄的是美洲木棉,也叫乳酪树,这种树枝叶宽广,被玛雅人奉为“擎天柱”。还有一些拍摄的是天然石窟。对于当地人来说,这些或露天、或隐蔽的石洞也是一种圣物。与艺术家同在飞机上的另一位乘客恰巧听到了他们的对话。他就是洛朗·夏布尔(Laurent Chabres),一位酷爱收藏艺术品的蔬菜水果经销商,Bienestar基金会的主席。
收藏家有一位名叫阿尔弗来德·科鲁兹(AlfredoCruz)的策展人朋友。几天之后,阿尔弗来德向收藏家力荐曾在墨西哥游历创作二十五年的艺术家让-夏尔·丕儒(Jean-CharlesPigeau)。此时,洛朗·夏布尔突然回忆起了那个在飞机上滔滔不绝的法国人,于是便立刻在自己的庄园里接待了丕儒先生。一段美好的友谊由此开启。后来,洛朗成为了丕儒的重要赞助人。在他的支持下,丕儒在尤卡坦半岛巴卡创作的《经坛》于2009年8月落成。
在一本介绍丕儒的书中,评论家菲利普·皮盖(Phillippe Piguet)曾这样解释丕儒对于石膏的迷恋:“石膏的制作需要时间:时间被捕捉在石膏里,再也逃不掉。因为石膏与时间融为了一体,所以石膏外形所展现的就是凝固的时间。”
丕儒是一位理想主义的艺术家,一个游牧人,一位不知疲倦的行者,一个探险家,甚至是一个莽撞的冒失鬼。他出生在法国博斯(Beauce)地区的一个大家庭,是十一个孩子中的倒数第二个。在参加过1977年蒙特利尔的国际艺术节之后,他便开始了勇敢的周游世界之旅:在日本,他游览了京都(千佛寺),直岛(Nahoshima)和达岗山市海岸。在中国,他曾于2010年前往西安。期间还去了法国蒙鲁日(Montrouge, Fondation d’Art Contemporain Daniel et Florence Guerlain aux Mesnuls), 瑞典哥德堡(Centre d’Art du Crestet),新喀里多尼亚(Centre culturel Tjibaou),美国纽约,加拿大的贝塞德新不论瑞省(Bayside, Nouveau Brunswick)等地,参与各类展览……
他在墨西哥举办展览的次数不下二十次。同著名原始艺术收藏家和专家雅克·凯赫沙西(Jacques Kerchache)一样,丕儒热爱墨西哥前西班牙艺术(公元前1300-800年)的前身——奥尔梅克艺术。在他看来,“奥尔梅克人在用艺术传达思想的时候,无论从作品的品质、选材、还是节约意识的角度,都堪称伟大的雕塑家:对于奥尔梅克人来说,艺术品不仅仅是一种单纯的表现方式,而是某种意义的象征。”
2008年,丕儒与法国塞夫勒皇家瓷器厂(Manufacture nationale de Sèvres)合作,创作了小型镀金景观陶瓷雕塑《火山口》。他多次游览波波卡特佩特火山,因而获得灵感,将火山断面的形象忠实地还原在雕塑里。
丕儒梦想着有一天能够将自己的装置艺术作品《天雨》安置在京都的某一座神庙里。《天雨》由1000支平地而起的抛光铝合金长矛构成,每根高达2.70米!在进行任何艺术创作之前,丕儒总是一如既往地进行长期而耐心的探索与诠释,旅行采风,深入研究创作主题。他的观众们已经迫不及待地想要欣赏他的作品了:京都寺庙的僧人曾专程来到丕儒在巴黎的工作室,亲眼观看《天雨》的创作进展。最终,丕儒从容地完成了此项目。他的创作决心由此可见一斑。
1992年,在墨西哥,丕儒踏遍了方圆几百公里的南美大地。最终在哈利思科州(Etat de Jalisco)找到了一块没有任何现代社会痕迹的原生态空间。该地的萨尤拉湖(Sayula)每到夏天便因河水蒸发而干涸。一年之后,当他带着《尊天独享》——由七个特制的锅状圆镜组成的现代装置艺术——再次回到这里时,在干涸的湖床表面惊喜地发现了一组直径相同的圆周印记:这正是古老的印第安人在公元600至900年曾在此地晾晒食盐的佐证。
6年后,作为在南美西班牙殖民前古遗址上开展创作的第一位当代艺术家,丕儒将他的装置艺术作品《海螺》安置在祭祀风神的螺旋金字塔遗址上。在美国盖蒂收藏学院(Getty Conservation Institute)的组织和著名策展人朱力安·祖卡让高佳(Julian Zugazagoitia)的策划下,丕儒随后的创作一直延伸到大洋洲的法属新喀里多尼亚首府努美阿(Nouméa)。在那里,他一连几个星期在卡纳克(Kanak)的林荫路上风餐露宿,用针孔相机捕捉风的足迹。他甚至和土著人学会了“呼风唤雨”的巫术。
每一次创作都是一场仪式,都开启了一次新的探险旅程。1999年,在法国娇兰当代艺术基金会(Fondation d’art contemporain Daniel et Florence Guerlain) 的特别赞助下,丕儒将创作的《祭品》放在了墨西哥波波卡特佩特火山脚下。一年以后,他重访故地,拍摄了《祭品》的遗迹。
应爱马仕基金会的邀请,他在比利时当代艺术画廊(La Verrière)创作了内部镀金的白色冥思室。冥思室的底部安装了圆形镜面,正对着雕塑的镂空顶部。在这里,天空的倒影与冥思者的目光安静地交汇。感动之中,冥思者可以对话与灵魂。
同丕儒的其他作品一样,《冥思室》同时展现了神圣与伟大,时间轮回与生命无常。甚至带有些许的幽默。一日,他的墨西哥赞助人开玩笑地说,《冥思室》应该叫做“柠檬大王”。不一会儿,丕儒就为他的朋友做出了几颗石膏“柠檬”。他还做了一些金“柠檬”在比利时当代艺术画廊展出。“想象,就是将现实调高一个声调。”法国哲学家加斯东·巴舍拉(Gaston Bachelard)所言极是。
爱丽丝·莫尔甘(Alice Morgaine)
比利时当代艺术画廊(La Verrière)艺术总监
让-夏尔·丕儒比利时当代艺术画廊个人展览上的介绍短文。
2011年9月-10月,布鲁塞尔。爱马仕基金会。