Extension. 1985.
Biennale de Belfort.
72 javelots polis. Métallisation partielle.
Longueur 2m60. Diamètre 32 mm
Depuis 1981, Jean-Charles Pigeau poursuit ses recherches sur les combats : lutte de l’homme et de la nature, voire de la nature avec elle-même ; rites d’affrontements des hommes entre eux. Son itinéraire, qui l’a mené de la boxe aux arts martiaux, est jalonné d’œuvres , traces légères d’une prolifération d’exercices qui furent autant de tentatives jusqu’à ces épures finales que l’on a pu voir exposées : « Le ring » , « Shadow-boxing, « L’attente », « La forêt qui marche »… aujourd’hui « Extension ».
Après le travail du polyester et du bronze qu’il utilisa au cours de son voyage au pays de la boxe, après avoir fait du bambou le matériau de sa rencontre avec les arts martiaux, c’est au tour du métal des javelots d’accueillir la quête du sculpteur, de prolonger le récit en œuvres de son aventure, de sa démarche : « tout mouvement est rythme à l’égal du dessin et de la sculpture. Je fais un parallèle entre l’art de tirer le sabre (Iaï) et le geste du sculpteur qui tend à exprimer l’essentiel ».
L’installation faite à Belfort est à la croisée de cette histoire et de la découverte d’un lieu, d’arbres et de lumières, magie d’élancements végétaux auprès des assises de pierres édifiées par Vauban, ciel et terre étroitement embrassés. Installation d’une œuvre pour habiter le lieu : « diviser l’espace, découper la masse » (JCP). La sculpture dialogue avec les lignes de forces en tension dans le site : verticales lumineuses des sous-bois, horizontales opaques des fortifications.
Le désordre apparent des lances assure le cheminement oblique dans toute cette orthogonalité, ménage un « vide » dans la densité, ouvre un espace du possible. « un espace imaginaire qui n’est plus de ceux qu’imposent la nature et la société ». (JCP)
Des javelots sont ici déployés : empreintes paysagères, raies spectrales, repos des armes-traces du passage des archers zen ?
Claude Eveno. 1985.
Sculptures, oui sûrement – Installations, bien évidemment : ex-tensions. En fait ; l’essentiel des préoccupations plastiques de Jean-Charles Pigeau, découle plus des essais de comportement qu’il effectue dans son laboratoire, comme une dérive de l’architecture. D’ailleurs ses recherches commencent par des croquis très dessinés, très purs, des photographies prises en plein air pour mémoriser les paysages, sachant que, de leur superposition, naitront des études sur les matériaux face aux intempéries, et autres soucis d’architecte.
Omniprésents également, les combats éternels du plasticien qui recompose ou divise plein/vide – négocie ses leurres d’ombre et de lumière - flirte avec l’espace, pour mieux aspirer les formes en suspens dans l’atmosphère. Horizontales et verticales se lèvent et se couchent, cycliquement attirées par le sol, le ciel ou les murs pour ne plus rejoindre que les obliques infinies qui nous rapprochent de l’au-delà.
Les fragments de royaume captés qu’il nous présente sont tous autant de géographies immatérielles, cernes de vie par miroirs attrapés, comme les traces d’une circulation d’air, ellipsoïdale.
Jean-Charles Pigeau a compris que l’œil voit rond. Les « Chambres de l’œil » le fascinent. Dans son esprit, elles prolongent le dynamisme des formes existantes, là où il décide d’occuper l’espace, parce qu’au centre de chacune d’elles se nouent d’étranges rencontres avec les ondes.
Les orbites de verre, les disques d’acier qu’il met en situation sont toutes des planètes meurtries, percées de javelots qui les portent ou qui les tuent. Mais elles peuvent aussi leur échapper et lacérer les murs en fin de course, pour rétablir l’équilibre infime qui devient essentiel sur fond d’horizon.
L’artiste s’acharne, avec la ténacité méticuleuse des porteurs de projets, à faire oublier le temps. C’est le prix à payer pour convaincre d’anneau en anneau, et retrouver la théorie des ensembles.
Harmonie des mathématiques et de la philosophie, rachat des valeurs, même si les mots séparent les langages jusqu’au jour où poussière viendra s’en emparer pour rejoindre CIEL.
Marie-Odile Van Caeneghem. 1991