Dans le cadre de la troisième édition du Festival International d’Art Contemporain Alpilles-Provence’art (a-part) l’invitation faite à cet artiste nomade ayant posé pied au Mexique sembla évidente à Alfredo Cruz, curateur de la section “México 2012”, en la Chapelle de la Persévérance, à Tarascon. Ensemble, l’artiste et le curateur avaient sillonné le pays Maya et vécu l’expérience relatée dans le texte “Du Limousin au Yucatán”.
« Akade » fut l’œuvre installée au cœur de la grande chapelle qui accueillait quatre autres artistes, tous mexicains : Beatriz Castillo, Yolanda Guttierez, Edgar Canul et Oswaldo Ruiz-Chapa, ayant travaillé ou vivant au Yucatán, cet Etat au sud-est du Mexique dont le peuple ancestral prédit la fin du monde pour cette fin d’année 2012. « Akade » est donc une cellule de méditation nécessaire en ces temps troublés. Elle recrée un espace dans l'espace et découle directement de l’expérience décrite par Alfredo Cruz. Produite en 2011 par la Fondation d'Entreprise Hermès, cette sculpture d’un diamètre imposant de quatre mètres soixante, pour une hauteur de deux mètres vingt en matériau composite avec enduit epoxy blanc, dorée en son intérieur à la feuille, et reposant sur un miroir en acier inoxydable d’un mètre vingt de diamètre, est une pièce majeure dans l’œuvre de l’artiste qui la pensa itinérante. Exactement à l’inverse de «l’Oratoire de Baca», inexorablement immobile au cœur du Yucatan.
Cette image miroir se reflétant dans l’acier, suite logique à l’oratoire, devinant à son tour maillon fonctionna à la perfection, tel le pivot central d’une œuvre en éternelle errance, renvoyant le visiteur à une autre section du festival. Car, comme pour mieux illustrer ses pérégrinations, Jean-Charles Pigeau fut également l’invité de la section “Céramiques Contemporaines” qui accueillait des artistes contemporains ayant notamment travaillé à la manufacture de Sèvres. Posée comme la chronique d’une réponse annoncée à « Akade », « Cratère », une œuvre de 2003, sculpture/paysage au profil issu d’une sténopé-photographie du Popocatépetl, est un triptyque en biscuit de porcelaine tendre, à l’intérieur également doré à l'or fin, d’un diamètre de seulement vingt-quatre centimètres pour dix-sept de haut, exécuté par les ateliers de Sèvres. Ce relais, dans une autre section du festival a-part, fut le déclencheur d’une suite planétaire ayant pour firmament l’étoile à seize branches des Baux-de-Provence.
La petite cité connue du monde entier, d’à peine quatre cents âmes, située au cœur de la non moins petite et fameuse chaîne des Alpilles, était désireuse de s’impliquer plus encore en accueillant des artistes en résidence. Ce fut donc l’occasion d’inviter, en ce mois de juillet 2012, une jeune céramiste chinoise. Ye Li, née à Harbin en Mandchourie, vint y finaliser son projet « Ar(T)chéologie », dont les pièces de céramiques épousent la mousse souple qu’elle pose telle la colonne vertébrale de ses œuvres. La jeune artiste décida d’y “faire la peau” de ses animaux, en utilisant un émail rare venant directement de Chine. Avec l’aide du talentueux céramiste Guy Bareff, autre artiste participant à cette même section du festival, elle peupla la cité de ses créatures émaillées. Or, celles-ci n’auraient pu proliférer sans la complicité de... Jean-Charles Pigeau qui partage avec la jeune artiste mandchoue le sens de la création d’objets cosmiques évoquant aussi bien le monde végétal, animal ou humain.
Dans les animaux de Ye li, Jean-Charles Pigeau décrypta ce qu’il décrivait déjà dans une note de 2006 sur un petit objet découvert dans des fouilles de la péninsule mésoaméricaine, symbole maya du pouvoir yucatèquedit « Excentrique. Yucatan, 7ème - 9èmesiècle ». Un silex de trente-quatre centimètres par seize, dont le reflet, la figure, le profil et l’intérieur du corps avec ses humeurs et son énergie sont suggérés par les qualités intrinsèques du matériau. Le vide des pièces de Ye Li, à l’instar de celui de l’« Excentrique » le renvoyait aux entrées des “cénotes”, ces lieux sacrés mayas, points d’eau parfois à ciel ouvert, véritables grottes enfouies dans la luxuriante végétation du Yucatan qui ne compte pas une rivière subterraine.
Entre glyphes mayas et idéogrammes chinois, tout devenait limpide. Une évidence, une connivence pour ces artistes qui à l’occasion de ce festival d’art contemporain eurent la possibilité d’échanger leurs techniques, leurs savoirs, leurs compétences. Avec l’appétence d’apprendre l’un de l’autre, de continuer, d’évoluer sans cesse et faire avancer leur art pour analyser tout ce qu’ils savent déjà et pouvoir l’exprimer en s’appuyant sur l’expérience de l’autre, l’alter ego. Dans ce trio Sino-mexicano-français (Ye, Bareff, Pigeau), la relation avec le Mexique de Jean-Charles Pigeau,alimenté par ses récent séjours en Chine,joua un rôle primordial et aboutit à son invitation à Ye li pourétablir des allers-retours entre art préhispanique et art contemporain, aux confins de la muraille de leurs connaissances respectives.
Ye Li dit avoir beaucoup appris dans cet échange sur le comportement de ses créatures : Poissons, oiseaux, glyphes sur pattes, dont la naissance aux Baux-de-Provence pris de curieuses formes mayas enrobées d’émail velouté chinois. La relation entre les continents asiatique et américain ne sont plus un secret pour personne. Au fil des millénaires, au rythme d’un kilomètre par siècle, l’homme a oublié ses origines pour mieux s’ancrer dans de nouvelles terres. Le talent des artistes est probablement une manifestation aigüe de la mémoire de l’Homme, une sensibilité exacerbée des origines perdues. Entre art et science, la frontière est ténue, comme celle entre le passé et le présent, ou encore, pour reprendre un thème cher à Jean-Charles Pigeau, celle entre l’archéologie et l’art contemporain.
Voici plus qu’un quart de siècle que l’artiste arpente le Mexique avec cette obsession et le Japon dans sa ligne de mire ; mais Chine en tête ! Ainsi en 1983, prêt à partir pour le Japon, il se retrouva au Mexique. En 2002, c’est en Nouvelle Calédonie qu’il se retrouva même ! Là, fasciné par lerapport à la nature des artistes canaques, anciens ou contemporains, un rapport qui repose sur les fondamentaux que sont le vent et le végétal, artiste nomade, il transposa au Centre Tjibaou son projet « Captures de vent »(La dialectique du vent. Actes sud 2003). En 2003 et 2005 encore, c’est avec un projet initialement prévu pour le Japon, « Villa Kujoyama », qu’il retourne au Mexique et conçoit « l’Oratoire de Baca », à l’hacienda San José, dans l’Etat du Yucatan où, entre2007 et 2009, il développe,avec l'appui du visionnaire français Laurent Chabres, fondateur de la Fondation Fundebien (Fundación para el Bienestar Natural A.C.),la production monumentale de Baca, y incluant des pièces de petites dimensions, des cloches de bronze découlant du profil de l'oratoire tourné à 360°. Puis, 2010 sera l’année de tous les voyages. Ainsi aura-t-il fallu vingt-sept ans à l’artiste pour enfin découvrir le Japon... Et la Chine, qui à son tour l’envoute !
Marin dans l’âme, Jean-Charles Pigeauarbore fièrement la barbe du capitaine. Aujourd’hui professeur à l’école des Beaux Arts du Havre, gageons que les fenêtres de sa classe s’ouvrent sur le port. Et ce n’est pas sans signifiant que de souligner que l’une de ses premières œuvres (1987), revisitée en 2012, s’intitule « Entre ciel et terre » : Un cône en aluminium brossé, contenant un miroir, tel un disque de verre semi réfléchissant, œuvre mape-monde, plate comme se l’imaginaient les anciens, qui se trouve scellée dans un jardin-atelier du Loiret ; là même où était le commencement de l’artiste, né à Pithiviers.
Leïla G. Voight
Fondatrice du Festival a-part
Mérida, Yucatán
12 décembre 2012